Le français est égocentrique. Il complique pour ne pas paraître simplet, il se prononce différemment qu’il ne s’écrit, il dicte et carbure à coups d’exceptions. Pourtant, je l’aime. C’est notre belle langue et elle mérite tout le temps que je lui consacre. En tant que réviseure, je fais partie de ceux qui se grattent la tête souvent pour se plier à ses caprices. Chercher la règle, le mot, l’expression justes. Surtout, ne pas dénaturer le texte d’origine. Lui garder son essence pour faire croire au lecteur que l’auteur est infaillible, qu’il connaît sa langue comme son alphabet.
Les maux du réviseur
Oui, je suis réviseure à la pige, travailleuse dans l’ombre. Je l’avoue, il m’arrive de perdre patience devant des livres de référence qui divergent dans leurs règles. Il m’arrive aussi de m’impatienter devant un texte tellement mal structuré qu’on doit jouer aux devinettes; devant un texte saisi dans un format difficilement révisable (Excel, par exemple); devant un échéancier impossible; derrière un client qui réserve une plage horaire dans mon agenda et qui, le temps venu, ne la respecte pas, tandis que j’ai dû refuser un autre mandat pour pouvoir exécuter celui-là. Et je ne parle pas d’un client qui n’honore pas mon délai de paiement, ou de mon ordi qui joue à « Je ne veux rien savoir aujourd’hui », ou encore de mon corps endolori… Tout ça fait partie des « maux » d’un réviseur.
Les mots du réviseur
Lorsque la patience me revient (et elle revient toujours rapidement… grâce au Ciel et à mon optimisme infini et parce qu’il faut bien gagner sa vie!), que mes maux ont disparu, d’autres mots m’arrivent par-derrière, n’attendant qu’un simple regard de ma part. Et hop! C’est reparti!
Les mots sont mon pain quotidien. Sans eux, pas de maux, mais beaucoup de pages blanches. Des insomnies, aussi. Sans les mots, je dis : je ne vis plus.
Les mots sont nécessaires et partout. Qu’ils soient croisés, cachés, doux, gros, les mots sont au bas mot la matière de base du langagier. Dans les recettes, sur les panneaux publicitaires, le mot d’ordre, c’est de savoir les doser. Dans les romans, les mots se font parfois acrobates, parfois platoniques, selon le degré de virtuosité de l’artiste.
Les indispensables d’un bon réviseur
En d’autres mots, si je suis un bon réviseur, j’oublie mes maux et je me concentre sur l’essentiel : les mots de l’auteur. Je les lis, je les corrige, je les relie, je les rature, je les relis, j’en fais un bouillon de culture. En même temps, j’ajoute ma touche toute personnelle : les raisons des « pourquoi ceci, pourquoi cela » (il faut bien justifier certains changements!). Ensuite, au moment fatidique, celui où je retourne le texte corrigé à l’auteur, je révise mon courriel : je n’ai pas le droit à l’erreur! Imaginez l’esclandre de mon destinataire en cas de défaillance! Je ne veux pas être reconnue coupable d’infraction à la langue française et d’avoir causé un arrêt cardiorespiratoire à un client. Une fille avertie doit TOUJOURS donner l’exemple du texte parfait…
Mon souci du détail n’est pas le seul facteur qui influe sur mon travail. Les outils occupent aussi un grand rôle. Pour faire baisser la pression et avant que mon travail ne devienne une torture, je me dote des bons instruments : une bonne chaise qui épouse mes formes (un tapis roulant, dans mon cas, pour éviter l’ankylose due à une position assise prolongée), une bibliothèque de références noircie par les années et une autre qui ne s’empoussière pas (Google, bien sûr, mais aussi Antidote, Termium, la Banque de dépannage linguistique, le grand dictionnaire terminologique, etc.), un réseau de langagiers réceptifs et interactifs qui me console lorsque je suis devant un vilain dilemme. Que dire également d’un ordi et d’un Internet performants! Qu’y a-t-il de plus frustrant pour une pigiste qu’attendre le téléchargement d’un document ou qu’un logiciel qui plante? Enfin, il me faut une détermination à toute épreuve, sans oublier les quelques cachets d’Advil au cas où mon cerveau surchauffe. En dernier recours, un bon chiropraticien ou massothérapeute m’est toujours d’un grand secours pour prévenir les ras-le-bol du corps.
Mot de la fin
Même si j’adore mon métier, il n’est pas sans danger. Outre l’instabilité financière, le plus grand mal qui me guette, en tant que réviseure, c’est la peur. La peur de ne plus savoir trouver. De ne plus communiquer, de ne plus pouvoir travailler. Que tout s’écroule. Ne plus être capable de. La peur de ne pas trouver les mots qu’il faut. Pour dire l’amour. Les mots de réconfort. La peur d’être un jour atteinte par la maladie de mon père, l’Alzheimer. Voilà mon fin mot de l’histoire. Les mots et les maux, c’est du pareil au même!