

J’avais hâte d’arriver à Bordeaux, en France, surtout parce que sa région est reconnue pour ses vignobles et châteaux. J’ai appris que le mot « château » pouvait être autre chose qu’un palais. Même si les arômes de vin chatouillent aussi les palais… Palais pris dans le sens du goût, bien sûr. Donc, « château » signifie une appellation d’origine contrôlée (AOC), en d’autres mots, un permis de production de vin qui en garantit la qualité. Chaque vigneron doit obtenir cette appellation, qui vient avec certaines règles, s’il veut produire et vendre son vin. Dans la région de Bordeaux, par exemple, il est interdit de recourir à un système d’irrigation. Cette année, étant donné la sécheresse des terres, les vendanges (récolte des grappes) sont devancées de deux semaines, puisque le raisin est arrivé à maturité plus vite que d’ordinaire (mûr et sucré à point). Les travailleurs doivent s’adapter à la nature, ils n’ont pas le choix.
La région de Bordeaux compte environ 8 000 châteaux. Chacun utilise sa propre méthode de récolte (mécanique ou manuelle), ses propres cépages (variétés de vignes), son propre équipement. Ils ont un objectif commun : produire le meilleur vin possible en tenant compte de leur terre et de leur savoir-faire. Pas fou. Ça évite les chicanes de voisins, et chacun y trouve sa niche.


Inutile de vous dire qu’on a levé nos verres plus d’une fois pendant ces deux jours à Bordeaux. Margaux, Médoc, Pomérol… ces noms revenaient souvent, puisque ce sont des communes (sous-régions ou terroirs) qui se spécialisent dans un type de vin portant le même nom.
Ville de Bordeaux
Avant d’arriver dans la ville, on navigue sur la Garonne. Ce fleuve, pas très large, permet d’observer de chaque côté de nombreuses maisons délabrées ou à l’abandon, dont les terrains ont été inondés. L’érosion y est sûrement pour quelque chose aussi. D’autres, et plusieurs châteaux (bâtiments), sont toujours habités et bien préservés.







Pour accoster au port, on doit passer sous deux ponts : notre navire a juste assez d’espace pour passer sous le premier, mais la ville doit condamner temporairement l’utilisation du deuxième pont, qui doit lever sa plateforme pour nous laisser passer. Pas toujours commode pour la circulation automobile et les habitants.




Nous débarquons face à une statue de bronze noire, érigée en 2019 en l’honneur de Modeste Testas, une esclave africaine enlevée lorsqu’elle était adolescente. Il faut dire que Bordeaux s’est enrichie grâce au travail acharné des esclaves noirs. Modeste avait été vendue à deux commerçants de la ville, qui l’avaient envoyée sur l’île d’Haïti, à Saint-Domingue, travailler dans leur sucrerie. En 1795, elle a suivi François Testas aux États-Unis, où il lui a redonné sa liberté, et ce dernier, à sa mort, lui a légué des terres à Saint-Domingue. Elle y est retournée jusqu’à son décès en 1870, à l’âge de 105 ans.





Saint-Émilion
Après une courte visite de la jolie ville de Bordeaux, dont l’histoire a marqué l’existence du vin, nous nous sommes rendus à la cité médiévale de Saint-Émilion, pour visiter son monastère et les abris souterrains des moines, qui tiennent encore aujourd’hui malgré le calcaire friable contenu dans les gigantesques piliers. Ils sont inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO depuis 1999.
On y apprend qu’Émilion était le moine fondateur du village. Il est à l’origine de l’ermitage d’Émilion, de la Chapelle de la Trinité et ses peintures médiévales, des catacombes et de l’église monolithe (taillée dans la roche). Les lieux souterrains sont lugubres, je n’ai pas pu y prendre de photos : claustrophobes s’abstenir. Dans l’église, par contre, on y respire mieux.
























Le village de Saint-Émilion se situe dans le département de la Gironde, au centre des vignobles producteurs du vin rouge saint-émilion; la région compte quelque 800 châteaux. Trois principaux cépages sont utilisés dans les vins saint-émilion : cabernet franc, cabernet sauvignon et merlot, à des pourcentages variés, conférant à chacun son goût unique.
La plupart des vignobles appartiennent à des investisseurs, rares sont les vignerons qui exploitent la terre de leurs ancêtres. On a eu la chance d’en visiter un : le Château du Tailhas. À l’extérieur de la limite du terroir de Saint-Émilion, il produit du Pomerol.



Le vin était bon, mais nous y reviendrons. Notre première journée à Bordeaux se termine par une visite à pied des environs du port, le soir. Il faut voir la Place de la Bourse et le miroir d’eau. Deux centimètres d’eau recouvrent une dalle de granit, produisant un effet miroir. Le jour, petits et grands s’y promènent, pieds nus. Le soir, la grande roue est illuminée, pour le plaisir des yeux.





Fort Médoc
Le Fort Médoc est un site militaire bâti sur des marais autour des années 1700 selon les plans de l’architecte Vauban et sur demande de Louis XIV. Il protégeait Bordeaux des attaques militaires fluviales. Bien avant sa construction, le site était un lieu de batailles avec les Vikings et lors de la Guerre des Cent Ans. Reconnu par l’UNESCO en 2008, le Fort Médoc est prisé des amoureux de nature et de culture. L’intérieur des bâtiments est dénudé. L’un d’eux contenait 40 chambres de soldats jadis, on y voit les énormes planches de bois au sol censées protéger ses occupants de l’humidité nocturne. Un hôpital servait à soigner les blessés les plus graves, celui-ci jouxtant la chambre à entreposer les munitions et la poudre à canon. Les murs de cette pièce étaient heureusement épais, au cas où…











Graves et Haut-Médoc
Revenons à nos châteaux. Ou à l’alcool, si vous aimez mieux! Château de Portets nous attendait, ainsi que sa propriétaire, Marie-Hélène Yung-Théron, vigneronne de nouvelle génération, qui a adopté des méthodes respectueuses de l’environnement, tant pour le personnel que l’écosystème. Tri des déchets, suivi des consommations énergétiques, emploi de produits bio qui stimulent la défense naturelle des vignes; tout a été pensé et mis en place pour assurer la pérennité de la terre. En 2018, la propriété a obtenu la certification Haute Valeur Environnementale de niveau 3 avec la norme ISO 14001.







L’histoire de ce vignoble a débuté dans le temps des Romains, soit 1000 ans avant Jésus-Christ. Jusqu’au XVIe siècle, le Château de Portets était un véritable château fort. Napoléon Premier y a même fait halte en 1808 avant d’entrer à Bordeaux. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands avaient pris possession des lieux, le laissant ensuite dans un état de délabrement complet. En 1956, le grand-père de Marie-Hélène l’achète pour lui redonner ses airs de noblesse et pour l’exploitation viticole. A-t-il bien fait? À en dire nos yeux et notre palais, c’est plutôt réussi! Ce vin d’appellation Graves mérite de bonnes notes, tout comme le travail accompli par Marie-Hélène et son équipe! La remerciant en français pour cette visite, j’ai été surprise quand celle-ci, se penchant vers moi, m’a avoué : « Oui, mais si vous saviez le travail que cela a demandé pour en arriver à ça! » J’imagine.



Direction Château Lanessan, dans la région du Médoc. En chemin, la guide nous raconte que le 20 juin, des grêlons de la grosseur d’une balle de tennis et de forts vents se sont abattus sur la région, arrachant le toit des maisons du Taillan-Médoc, en Gironde. La dévastation était telle que les travailleurs de la construction n’avaient pas encore réussi à réparer toutes les habitations ou commerces. Désolant, ce dont la nature est capable.


Dès notre arrivée au Château, je me laisse imprégner par le calme de la place, le contraste des couleurs, des vignes émeraude au ciel azur, à perte de vue. La rue en pente, dont les habitations situées plus haut étaient occupées par les travailleurs de la vigne de classe supérieure, est aujourd’hui fréquentée par les visiteurs plutôt que les cavaliers. Le Musée du Cheval remplace les anciennes écuries avec mangeoires en marbre. Une serre du XIXe siècle et des jardins de fleurs complètent ce tableau naturel.
Le nom d’un des vins du Haut-Médoc, Les calèches de Lanessan, témoigne du passé équestre du vignoble, établi en 1793 par un certain Jean Delbos, négociant en vins bordelais. Aujourd’hui, les vendanges s’y font mécaniquement, modernité oblige. Le vin est suave et offert à la Société des alcools du Québec.








Il était une fois un vignoble…
Le Château Margaux est notre arrêt d’exception. Notre guide a obtenu une permission spéciale pour que nous puissions fouler la terre, sans nous approcher des vignes, du plus prestigieux vignoble de Bordeaux. On le surnomme le « Versailles du Médoc », dont la construction, inspirée de la Grèce-Antique, est devenue le chef-d’oeuvre de l’architecte Louis Combles en 1815. Passé entre plusieurs mains depuis ce temps, le Château Margaux n’a jamais perdu son lustre, au contraire. Le vignoble ayant produit son Premier Grand Cru Classé en 1855, il ne cesse d’innover. Ses installations ultramodernes sous la terre ne peuvent être visitées que sur invitation expresse.
Tout a pourtant commencé là, au XIIe siècle, lorsque le bordeaux est adopté comme vin de table par Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre. Au fil des ans, Château Margaux a su raffiner ses vins, adoptés par de fins connaisseurs, lui procurant une richesse, une subtilité. À la SAQ, un Premier Grand Cru 2017 se vend 945 $. Il n’est donc pas accessible à toutes les bourses, la mienne y compris.





Notre tour de Bordeaux se termine déjà. J’espère que ce court récit vous aura donné le goût de visiter la ville et les vignobles de la région. À votre santé!



Lisez mes billets sur les escales précédentes : Amsterdam, Guernesey.